Ben Heine est un illustrateur, photographe et producteur de musique belge. Propulsé sur le devant de la scène et connu internationalement pour sa série "Pencil vs Camera", il crée des scènes imaginaires et originales qui nous embarquent sur un tremplin d'évasion. Son regard artistique combine avec humour la photographie et le dessin. La passion guide les pulsions créatives de Ben Heine. Egalement musicien autodidacte, son univers musical oscille entre la "melodic house" et la chanson pop. Rencontre avec un artiste à l'imagination débordante et qui ne manque pas de surprendre son public. (Lire l'interview sur Artist Up)
Elina Tarade: Qu'est- ce qui vous a conduit vers l'univers artistique? Quels liens établissez-vous entre les différentes pratiques et comment s'expriment-t-elles dans votre univers créatif?
Ben Heine: Plus jeune, j'étais une personne assez agitée et tiraillée, l'expression artistique a été le seul moyen que j'ai trouvé pour canaliser ce surplus d'énergie ainsi que certaines angoisses et peurs primitives. J'utilise tout ce que j'ai sous la main et les petites compétences que je possède pour exprimer des idées et des sentiments. Pour moi, il n'y a quasiment aucune différence entre le dessin et la photo. Je retouche et cadre mes photos comme si je les dessinais et je dessine comme si je prenais une photo.
C'est pourquoi j'ai lancé cette série qui mélange les deux disciplines en 2010. La photo est plus rapide que le dessin dans le fait qu'elle capture un instantané du réel ou s'en inspire et qu'une grosse partie du travail est réalisée par le boitier et la lentille de l'appareil (même s'il m'est arrivé de passer plusieurs semaines à retoucher une photo).
En ce qui concerne le rapport entre la musique et l'art graphique, il y a déjà un écart plus grand mais à nouveau, je ne vois pas énormément de grandes divergences au niveau du processus créatif. Les compétences requises pour maîtriser ces disciplines (arts graphiques et musique) sont assez différentes mais l'aboutissement est le même. Dans les deux cas on a des âmes créatives qui veulent exprimer une idée ou une émotion et un public qui les comprend (ou pas). C'est un chemin parsemé d'embuches et d'échecs, mais c'est le parcours qui est important et pas le résultat.
Il y a en fait de grandes similitudes entre arts graphiques et musique, le flou graphique s'exprimera par exemple dans l'espace musical comme un son avec une grosse réverbération, une ligne nette et distincte sur un morceau de papier s'exprimera comme un son plus aigu ou strident... Les exemples sont infinis.
Vous êtes également musicien, vous jouez notamment de la batterie et du piano. Comment êtes-vous arrivé à la musique, et de quelle manière décririez-vous votre univers musical?
J'ai en effet une grande passion pour la musique, j'en écoute à longueur de temps, principalement de l'électro pour me booster et me donner de l'énergie. J'arrive à avoir un bon niveau de concentration tout en écoutant de la musique rythmée. C'est pratique. J'ai appris les percussions, la guitare et un peu de piano quand j'étais adolescent puis j'ai tout lâché pour me concentrer sur mes projets graphiques jusqu'en 2011, année durant laquelle je me suis remis de manière intensive au piano.
J'ai ensuite fait 3 ans de solfège en autodidacte, j'ai également en parallèle, passé plusieurs années à apprendre divers programmes de créations musicales (ceux-ci sont beaucoup plus compliqués que les programmes de créations graphiques car il y a beaucoup plus de paramètres en jeu!). Et là maintenant, je compose mes chansons au piano puis je les retravaille dans un programme spécialisé (j'utilise principalement Ableton) et j'y mêle diverses influences. Ce que je fais est un mélange entre la musique électronique (Progressive House) et la chanson Pop.
Qu'est-ce que la musique vous permet d'exprimer par rapport aux autres pratiques artistiques? Quelles sont vos sources d'inspirations en musique?
Comme expliqué plus haut, je trouve que les arts graphiques sont passifs, mous et sans relief, ils ne se passent pas grand chose sur un morceau de papier ou sur une toile en 2D... Les artistes graphiques sont limités par leur discipline malheureusement. Je veux sortir de cette torpeur liée à mon art principal. J'ai d'abord essayé de m'évader en lançant le concept pencil vs camera qui faisait appel à la 3D ou à l'illusion de 3D mais ce n’était pas assez, je me sentais encore prisonnier de ma discipline. Ayant cette passion pour la musique, une motivation hors norme en matière d'apprentissage autodidacte (on ne peut compter que sur soi-même tristement, c'est encore plus vrai dans le milieu de l'art), j'ai sauté sur l'occasion.
J'investis depuis tout mon temps et mon énergie dans la musique car je sais instinctivement qu'elle me permettra et me permet déjà de donner plus de relief à ce que je veux exprimer. Je peux faire appel aux autres sens des personnes qui suivent mon travail. Je peux les toucher plus en profondeur. Pour le moment, je suis toujours en phase de "développement", ce n'est pas une période facile, mais je ne lâche rien !! Des artistes comme Manu Chao, Serge Gainsbourg, Placebo, Daft Punk, Leonard Cohen, Bob Marley et bien d'autres sont de grosses sources d'inspiration.
J'investis depuis tout mon temps et mon énergie dans la musique car je sais instinctivement qu'elle me permettra et me permet déjà de donner plus de relief à ce que je veux exprimer. Je peux faire appel aux autres sens des personnes qui suivent mon travail. Je peux les toucher plus en profondeur. Pour le moment, je suis toujours en phase de "développement", ce n'est pas une période facile, mais je ne lâche rien !! Des artistes comme Manu Chao, Serge Gainsbourg, Placebo, Daft Punk, Leonard Cohen, Bob Marley et bien d'autres sont de grosses sources d'inspiration.
De quelle manière votre travail a-t-il évolué depuis vos débuts?
Au tout début, lorsque j'ai commencé l'art graphique, je réalisais des oeuvres totalement personnelles que 99% des gens trouvaient hideuses et ne comprenaient pas. Il s'agissait principalement de peintures à l'acrylique, de dessins, collages divers et de sculptures en argile.
C'était une phase d'expérimentations personnelles dont je me serais bien passé mais cette période m'a aidé à prendre conscience qu'un artiste ne doit pas faire des créations juste pour se faire plaisir, il doit les faire et les rendre accessibles le plus possible pour que les autres les comprennent, sans quoi, le temps, l'énergie et l'investissement consacrés (parfois considérables) sont inutiles.
Il faut aussi prendre en compte que la plupart des artistes travaillent au début sans aucune rémunération liée à leurs oeuvres, leur seule source de motivation étant la passion, si cette passion n'est pas au moins récompensée par l'émotion ou la reconnaissance générée auprès d'un public quelconque, quel intérêt de continuer? Il suffit de voir la vie de Van Gogh (dont le talent n'a jamais été reconnu de son vivant, ce qui a engendré sa folie et son suicide), pour constater qu'une telle situation n'est pas viable sur le long terme. Les artistes, ont besoin de reconnaissance, comme tous les autres êtres humains. Et contrairement aux chercheurs ou aux hommes politiques, les artistes ne jouissent d'aucun soutien ou subsides financiers de l'Etat, la culture étant malheureusement le cadet des soucis de ce dernier.
Puis entre 21 et 26 ans, j'ai réalisé des études de journalisme. Cette période a été néfaste pour mon évolution artistique. D'abord parce que j'ai perdu un temps précieux pour perfectionner mes techniques artistiques et ensuite parce que baignant dans un milieu journalistique bourré d'individus avec de fortes convictions politiques, j'ai vraiment été influencé et manipulé par des personnalités issues de différents réseaux politiques.
J'ai alors commencé à faire du dessin de presse, des caricatures et des dessins sous influence, que je trouve aujourd'hui de très mauvais goût, à la limite de la propagande. Des dessins que je regrette et qui m'ont valu d'être catalogué sur Wikipédia comme artiste politique, ce qui est finalement injustifié, étant donné qu'il s'agit d'une toute petite partie de mon évolution.
Ensuite, après mes études, ayant pris conscience que la politique devait être faite par les politiciens (ils sont payés pour se mouiller et s'engager, eux!) et non par des pauvres artistes influençables et sincères, et ayant aussi compris qu'il fallait faire des oeuvres accessibles pour tout le monde, j'ai lancé mon concept "pencil vs camera". Comme l'idée derrière ce concept était totalement nouvelle, mes oeuvres ont été publiées et exposées un peu partout dans le monde et j'ai été propulsé rapidement sur la scène internationale. Puis j'ai lancé d'autres séries graphiques jusqu'à aujourd'hui où je fais principalement de la musique.
Votre projet "Pencil vs Camera" a eu beaucoup de succès. Comment vous est venue l'idée de combiner le dessin et la photographie?
Ce sont deux disciplines que j'avais longuement pratiquées. J'avais vu des artistes mélanger une photo dans une photo ou un dessin dans un dessin mais jamais un dessin dans une photo. Je me suis donc dis qu'il y avait quelque chose à creuser, ce que j'ai fait. Par ailleurs le dessin offre des possibilités infinies étant donné qu'il n'y a aucune limite à la créativité.
Quel est votre mode opératoire pour la création d'une oeuvre? Vos idées sont elles guidée par la spontanéité ou basée sur la réflexion?
Quel est votre mode opératoire pour la création d'une oeuvre? Vos idées sont elles guidée par la spontanéité ou basée sur la réflexion?
Ca varie mais en général, je cherche un bon lieu, puis je prends des photos de références, ensuite je réalise un dessin, puis je reviens sur le lieu et prends la photo. Je dois très souvent faire des retouches pour corriger toutes les petites imperfections et améliorer l'exposition des différentes zones, la balance des blancs etc.
Parfois de bonnes idées viennent spontanément et de manière fulgurante et d'autres idées viennent après des mois de réflexion. Bien souvent, le gros de l'idée vient rapidement et je l'améliore au fur et à mesure comme un scénario qu'on écrit.
Vous réalisez également du body painting sur fond d'une toile, les deux n'en faisant qu'un... Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette technique, et qu'est-ce qui vous attire en elle?
Vous faites référence à ma série intitulée "Flesh and Acrylic". Il s'agit d'un autre concept original que j'ai lancé en 2010 également. En gros, je réalise une peinture abstraite en très grand format. La particularité de la série réside dans le fait qu'un modèle vivant est intégré dans l'oeuvre. Il s'agit donc en quelque sorte d'un body-painting abstrait...
Je tiens à signaler que ce concept a été repris et utilisé sans mon autorisation en 2011 dans le clip de la chanson "Somebody That I Used to Know" par le chanteur belgo-australien Gotye. La preuve encore que les artistes dans le milieu de l'art graphique ne sont pas respectés. Leurs idées sont bien souvent pillées sans juste retour.
Quels sont vos procédés de création et comment se passe la collaboration avec vos modèles?
En général, je dois aller très vite, car je fais les peintures avec de l'acrylique. L'acrylique contrairement au maquillage donne vite froid au modèle. Les modèles sont donc frigorifiés après quelques minutes, c'est pour moi la contrainte principale. Je suis une personne qui aime s'attarder sur une oeuvre pour en améliorer tous les aspects. J'ai donc toujours l'impression de devoir "bâcler" les images de la série "Flesh and Acrylic".
Vos créations graphiques ont été exposées largement sur la scène internationale... Comment ressentez-vous cette notoriété?
Il ne s'agit pas de notoriété pour moi. Ce qui relève de l'art plastique n'a rien à voir avec le grand public. L'art plastique, contrairement à la musique, est un art mou, passif et lent, il requiert souvent une plus grande réflexion de la part du spectateur et il touche principalement un public d'intellectuels avertis, c'est-à-dire une minuscule frange de la société. Les artistes graphiques sont condamnés, quoi qu'il arrive, à toucher un nombre restreint de gens. On ne peut donc pas parler de notoriété pour ces artistes.
C'est aussi dû au fait que les artistes plasticiens travaillent dans l'ombre, dans leur studio et que leurs expositions sont faites pour être vues par les gens de manière individuelle et passive, il n'y a pas de partage réel et intense. Cela engendre une monotonie un ennui pour les spectateurs (mais aussi pour les artistes!) sans commune mesure. C'est à l'extrême opposé des artistes de la musique qui font vibrer l'âme des gens, qui réunissent des foules entières et qui dans bien des cas ne doivent pas faire appel à l'intellect de leur public mais juste à leurs pulsions primaires.
Pouvez-vous nous parler d'une de ces expériences?
Malgré les limites de l'art graphique, j'ai quand même beaucoup aimé ma dernière exposition solo au Planétarium de Moscou. Mes oeuvres y ont été exposées en très grand format pendant plusieurs mois. L’organisation était impressionnante. Ma musique a également été diffusée non stop ce qui était une grande première pour moi. Les Russes étaient très accueillants.
Quels sont vos rêves et projets à venir?
Mes rêves ou mon actualité n'ont aucune importance, j'ai déjà trop parlé de moi. J'espère juste pouvoir continuer à surprendre et ravir à travers mes créations et pouvoir continuer à vivre de ma passion.
En général, je dois aller très vite, car je fais les peintures avec de l'acrylique. L'acrylique contrairement au maquillage donne vite froid au modèle. Les modèles sont donc frigorifiés après quelques minutes, c'est pour moi la contrainte principale. Je suis une personne qui aime s'attarder sur une oeuvre pour en améliorer tous les aspects. J'ai donc toujours l'impression de devoir "bâcler" les images de la série "Flesh and Acrylic".
Vos créations graphiques ont été exposées largement sur la scène internationale... Comment ressentez-vous cette notoriété?
Il ne s'agit pas de notoriété pour moi. Ce qui relève de l'art plastique n'a rien à voir avec le grand public. L'art plastique, contrairement à la musique, est un art mou, passif et lent, il requiert souvent une plus grande réflexion de la part du spectateur et il touche principalement un public d'intellectuels avertis, c'est-à-dire une minuscule frange de la société. Les artistes graphiques sont condamnés, quoi qu'il arrive, à toucher un nombre restreint de gens. On ne peut donc pas parler de notoriété pour ces artistes.
C'est aussi dû au fait que les artistes plasticiens travaillent dans l'ombre, dans leur studio et que leurs expositions sont faites pour être vues par les gens de manière individuelle et passive, il n'y a pas de partage réel et intense. Cela engendre une monotonie un ennui pour les spectateurs (mais aussi pour les artistes!) sans commune mesure. C'est à l'extrême opposé des artistes de la musique qui font vibrer l'âme des gens, qui réunissent des foules entières et qui dans bien des cas ne doivent pas faire appel à l'intellect de leur public mais juste à leurs pulsions primaires.
Pouvez-vous nous parler d'une de ces expériences?
Malgré les limites de l'art graphique, j'ai quand même beaucoup aimé ma dernière exposition solo au Planétarium de Moscou. Mes oeuvres y ont été exposées en très grand format pendant plusieurs mois. L’organisation était impressionnante. Ma musique a également été diffusée non stop ce qui était une grande première pour moi. Les Russes étaient très accueillants.
Quels sont vos rêves et projets à venir?
Mes rêves ou mon actualité n'ont aucune importance, j'ai déjà trop parlé de moi. J'espère juste pouvoir continuer à surprendre et ravir à travers mes créations et pouvoir continuer à vivre de ma passion.